Dans les sociétés coopératives et participatives (Scop, Scic) la gouvernance est démocratique. Les salariés ont, à travers leur voix, le destin de leur entreprise entre leurs mains et cela change
La Gouvernance[1] , un objet délicat à plusieurs facettes
Il n’y a pas une mais de multiples gouvernances possibles pour faire avancer une organisation humaine comme l’entreprise. Il n’empêche, le modèle pyramidal semble avoir vécu au profit d’une prise de décision plus horizontale.
Les entreprises traditionnelles utilisent habituellement pour se gouverner une combinaison plus ou moins formelle de votes majoritaires et de décisions autocratiques. Pour l’illustrer, prenons le cas de la nomination du Président Directeur Général qui est choisi par la majorité des membres du conseil d’administration et qui, agissant comme le bras opérationnel du conseil, peut prendre à son tour ses décisions de façon autocratique.
Par le terme autocratique, nous ne voulons pas dire que le PDG est un dictateur. Dans les faits, il peut employer avec son équipe une variété de styles allant des ordres directs sans explication en passant par la consultation ou la vente de ses idées jusqu’à la recherche d’un large consensus se réservant la décision finale seulement si cela devient nécessaire. On dit autocratiques parce que, dans tous les cas, même quand le leader consulte ou cherche le consensus, une seule personne (auto) garde le pouvoir de la décision finale.

Dans les sociétés coopératives et participatives (Scop, Scic) la gouvernance est démocratique. Les salariés ont, à travers leur voix, le destin de leur entreprise entre leurs mains et cela change la donne. Dans ces sociétés de forme juridique classique SA, Sas ou Sarl les décisions stratégiques sont prises à la majorité, les informations concernant l’entreprise partagées à tous et les profits sont reversés aux salariés, aux associés et au patrimoine de l’entreprise[2].
Une étude récente OpinionWay pour les échos et la CG scop, montre que 80% des français pensent que le partage des décisions est un vecteur de compétitivité. C’est un plébiscite. Les modèles de gouvernance démocratique semblent perçus par les Français comme un vecteur d’amélioration tous azimuts, en termes de compétitivité, d’ambiance au travail, de baisse du stress ou encore d’accélérateur de transformation notamment sur le champ du développement durable.

Si l’on regarde autour de nous, nous avons de nombreux exemples ou des groupes d’individus s’auto-organisent : Des enfants s’inventent des jeux avec des règles, des amis s’organisent pour une fête, des associés créent des affaires en partenariat… C’est un phénomène naturel qui nécessite deux conditions[3]. D’une part que les éléments du système qui s’auto-organisent soient équivalents, c’est-à-dire sans contrôle des uns sur les autres et d’autre part avoir une source d’énergie externe.
La sociocratie[3] réfère à un mode de gouvernance qui crée les conditions nécessaires pour l’auto-organisation. Cette gouvernance repose sur quatre règles simples qui une fois en place renforcent efficacement la structure de commandement en la dynamisant.
- L’organisation met en place une structure de prise de décisions constituée de cercles semi-autonomes d’individus (un CoDir par exemple). Chaque cercle poursuit un but clairement identifié et organise son fonctionnement. Il est redevable de l’ingénierie de ses processus qu’il doit définir en termes d’orientation, d’exécution et de mesure des résultats
- Le mode de prise de décision d’une organisation sociocratique est le consentement (zéro objection). Aucune décision politique qui affecte le fonctionnement de l’unité et l’organisation du travail ne sera prise si un des membres y oppose une objection raisonnable.
- Un cercle est relié au cercle qui lui est immédiatement supérieur par un double lien. Cela signifie qu’au moins deux personnes, le responsable de l’unité de travail et un membre élu par le cercle, prennent part aux décisions d’orientations prisent par le cercle supérieur.
- L’élection sans candidat: Le choix et l’affectation des personnes ou la délégation d’une tâche se fait sur la base du consentement des membres présents, après une discussion ouverte dans le cercle.
Ce petit tour d’horizon des modèles de gouvernance ne pourrait être complet sans parler de modèles plus récents comme l’holacratie ou l’entreprise libérée fondées sur la confiance entre les membres d’une même communauté et l’autodétermination – capacité à influer sur son avenir.

Schématiquement, la notion d’entreprise libérée, théorisée par Getz et Carney désigne une entreprise dans laquelle la responsabilisation des salariés est considérée comme un levier de performance. Les leaders libérateurs, quels que soient leurs parcours et leurs secteurs d’activité, partagent des valeurs égalitaires (ne se considèrent pas comme supérieurs à leurs salariés), ils privilégient un management par le pourquoi et non par le comment (ils n’ordonnent pas, mais communiquent leurs visions et leurs stratégies) ; et ils sont à l’écoute de leurs équipes (car ils sont convaincus que chaque salarié possède une compétence précise).
De nombreuses sciences ont contribué et contribuent encore à la compréhension des différents phénomènes qui régissent nos relations, notre motivation, notre capacité à nous auto organiser et à se gouverner. Les processus de décision comme les modes de management sont en train de se transformer. On passe des logiques de compétences à celles d’interaction, de posture et de relations, du contrôle de la performance à la régulation des relations humaines. L’émergence de l’économie collaborative, les nouvelles formes d’entrepreneuriat individuel qui en découlent dessinent un nouvel écosystème dont la gouvernance est plus que jamais un enjeu crucial.
Il n’y a pas de panacée, tous les modes de gouvernance présentent des avantages et des inconvénients et sont conciliables bien souvent. La réussite réside dans l’appropriation par l’entreprise des principes qui contribuent le plus aux buts qu’elle poursuit en tenant compte de ses caractéristiques et son contexte. Je vous invite à lire le témoignage d’Eric Greven, Directeur Général d’AE&T, dans cette lettre des PMI.
Depuis quelques décennies, ce que l’on constate c’est quand même une évolution des organisations vers l’adoption d’une plus grande équivalence entre tous les membres d’une entreprise. Et peut-être que Charles de Gaulle, le 14 décembre 1948 dans son discours de Paris en traçait déjà les contours : « La solution humaine, française, pratique […] est dans l’association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun, à l’intérieur d’une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens, et qui devraient s’en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques.[…] Ce régime nouveau présenterait l’avantage social de lier entre eux, dans l’entreprise, au lieu de les opposer, les intérêts des managers, des collaborateurs, des investisseurs[5] et, par-là, de changer l’atmosphère. »
[1] La gouvernance désigne l’ensemble des dispositifs par lequel une organisation prend des décisions et les applique en vue d’atteindre ses objectifs. Elle peut se situer à différents niveaux de l’entreprise en fonction des délégations formalisées ou pas permettant les prises de décision. Elle peut aussi désigner la mise en place de modes de pilotage ou de régulation, fondés sur un partenariat entre différents acteurs à différentes échelles, pour assurer une meilleure coordination des parties prenantes d’une organisation.
[2] Les sociétés coopératives affichent un taux de pérennité après 5 ans supérieur à celui des entreprises classiques
[3] Prigogine (prix nobel de chimie) et Haken (professeur de l’institut des théories physiques) ont démontré les deux conditions pour qu’un système s’auto-organise.
[4] Le terme fut inventé au XIXe siècle par Auguste Comte, considéré par certains comme le père de la sociologie. Repris par Gerard Endenburg, dans les années 70, pour décrire un modèle de gouvernance qu’il considérait supérieur à la démocratie.
[5] Les termes ont été actualisés Manager pour Patron, Collaborateur pour Ouvrier et Investisseur pour Capitaliste