
Philippe Bertrand
président de chambre honoraire, coordonnateur de médiation cour d’appel de Pau
RÉSOLUTION DES CONFLITS. QUELLE VOIE CHOISIR ENTRE LE PROCÈS ET LA MÉDIATION ?
Conflit : 5 raisons de préférer la médiation
Procès ou médiation… comment résoudre un conflit ? Cette interrogation fait suite à la mise en place du processus structuré de la médiation mis en œuvre à la chambre commerciale de la cour d’appel de Pau depuis 2011, élargi et diffusé dans les autres chambres et dans tous types de litiges ; ce processus est propre à la médiation judiciaire, proposée et ordonnée dans le cadre d’une procédure, qu’elle soit en première instance ou en appel.
En l’état des dispositions légales, et sauf exceptions, la médiation ne peut être prescrite par un juge qu’avec l’accord des parties ; cependant, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, en cours de discussion devant le parlement, qui prévoit des transformations importantes dans l’organisation des juridictions, comporte également des mesures incitatives pour développer les modes amiables (ou alternatifs) dont la médiation, que ce soit pendant ou en amont du procès.
Dés lors que la médiation devrait également (et d’abord ?) être proposée aux parties en conflit avant d’introduire une instance (le procès) quels sont les critères du choix qui s’offrent à elles ?
Lors des réunions d’information sur les affaires que nous sélectionnons comme « éligibles » à la médiation, au stade de l’appel, savez vous quelle est la première question qui est systématiquement posée par les parties ?
« Pourquoi personne ne nous a proposé cette mesure avant, en première instance, et surtout avant le procès ? »
Nous savons bien que l’alternative par une mesure amiable, conciliation, négociation, médiation, procédure participative, etc…n’est pas encore ancrée dans notre culture du conflit, voire du combat judiciaire et qu’il faudra du temps pour que la médiation en particulier inspire confiance et se développe.
Pourtant il existe, notamment dans le territoire de la cour d’appel de Pau, une offre crédible et sérieuse de médiateurs, formés et compétents : la liste 2018/2021 des médiateurs de la cour d’appel de Pau qui vient d’être élaborée est en cours de diffusion pour tous les justiciables.
Alors quels sont les critères qui devraient, à mon avis, inspirer les parties et leurs conseils sur le choix entre médiation et procès, en particulier dans les contentieux qui concernent les entreprises ?
J’en ai listé cinq, par ordre d’importance, à partir de mon expérience de plus de 400 médiations ordonnées ; j’ai confronté ces critères à ceux d’une enquête réalisée par la FIDAL auprès de 70 entreprises françaises sur « la gestion optimisée des litiges », mais qui date un peu (2009).
Une issue rapide
Contrairement à ce qui vient à l’esprit ce n’est pas la comparaison entre le coût du procès et celui d’une médiation qui me semble être le facteur premier, mais celui du facteur temps, du moins en matière commerciale.
On sait l’importance de ce facteur temps dans la vie des affaires, qui exige réactivité et rapidité.
Si le procès, notamment par le référé, peut répondre à cette demande d’urgence, par contre le long délai de la résolution d’une affaire au fond, plus complexe, de l’ordre de 6 à 9 mois en première instance, de 12 à 18 mois en appel, est rédhibitoire ; au contraire le court délai de trois mois de la mesure de médiation semble bien correspondre aux besoins et aux intérêts des parties qui sont en différend en matière commerciale ; c’est d’ailleurs le gain de temps qui figure dans l’enquête FIDAL comme premier avantage.
Solution négociée, solution maîtrisée
Le deuxième facteur est celui de la prévisibilité : comme magistrat je crois pouvoir faire état de l’aléa judiciaire, dés lors qu’une décision de première instance peut être infirmée, après plusieurs années de procédure, en appel, et même faire l’objet d’une cassation !
Alors qu’une solution négociée est à la fois maîtrisée et définitive, puisque c’est celle que les parties ont trouvé !
L’enquête FIDAL ne fait pas référence expressément à ce critère, mais à celui de l’évaluation des risques, ce qui est assez proche.
Le meilleur compromis
Le troisième facteur est relatif à la solution du litige ou du différend :
– dans le procès c’est le juge qui décide, qui tranche mais selon les règles de droit applicables et de la preuve, qui est rapportée ou non.
– en médiation ce sont les parties qui recherchent et trouvent la meilleure solution, conforme à leurs besoins et à leurs intérêts, de manière pragmatique et concrète.
Un processus de qualité
Le quatrième facteur est celui de la qualité du processus :
– dans le procès, la procédure contradictoire est souvent source de malentendu, de stress et d’opacité pour les parties, comme d’ailleurs pour les magistrats et les avocats, confrontés à des réformes incessantes et inaudibles qui génèrent confusion et méfiance.
– alors que le processus de médiation est plus respectueux de la parole des uns et des autres, parce que confidentiel ; il est proactif et a vocation à restaurer les liens voire à contribuer à de nouvelles relations d’affaires ; cet avantage de la médiation est également mis en avant dans l’enquête déjà citée sur l’existence « de nouveaux accords conclus ou révisés » ; cependant cette restauration des liens n’existe plus dans la majorité des conflits du travail, dés lors que les relations sont rompues, en particulier par suite du ou des licenciements.
Des coûts moindres
Enfin cinquième mais seulement dernier facteur du choix, celui du coût : toutes les études démontrent que le coût d’une mesure de médiation est incomparablement moins élevé que le coût global d’un procès ; par ailleurs et au contraire du procès le coût de cette mesure est maîtrisé et peut donc être anticipé.
On fait souvent le procès aux conseils, qui sont avant tout représentés par les avocats des parties, mais comme aux magistrats, d’être hostiles à cette nouvelle culture des modes alternatifs, comme s’ils étaient avant tout des procéduriers, pressés d’en découdre pour percevoir des honoraires, sans considérer les besoins de leurs clients.
Je peux attester que depuis la mise en place de l’expérimentation à la chambre commerciale en 2011 les barreaux du ressort de la cour d’appel, ont profondément modifié leur culture et leurs pratiques à cet égard, mais en considération des résultats et de l’efficacité de cette mesure alternative.
Si en médiation ce sont les parties elles-mêmes qui reprennent la main et décident, le rôle des avocats est essentiel :
– avant la médiation, pour conseiller et informer leurs clients, y compris sur le choix du meilleur médiateur, expliquer la posture de chacun pendant le processus
– pendant la médiation, pour sécuriser leur client et lui apporter tous conseils utiles
– enfin et surtout après la médiation, pour rédiger l’accord, y insérer toutes clauses de garantie et envisager éventuellement son homologation par le juge
En forme de conclusion provisoire :
Il est convenu de dire que la médiation comme les autres modes amiables ne sont pas la panacée, mais pourquoi? Une dernière référence à l’enquête de la FIDAL qui constate dans ces grandes entreprises françaises:
– d’une part une fréquence d’utilisation de la médiation dans seulement 11% des litiges, occasionnelle ou rare dans 80%
– d’autre part que plus de la moitié des entreprises n’ont pas formé leurs équipes aux MARD…qu’ils ignorent !
Par conséquent un effort sérieux et important d’information et de formation de l’ensemble des acteurs est essentiel.
Rédigé par Philippe Bertrand, président de chambre honoraire, coordonnateur de médiation cour d’appel de Pau – décembre 2018